mercredi 22 février 2012

Sur le sacro-saint modèle allemand…

Vos écoutilles sont rabattues de dépêches exaltant le modèle allemand et exhortant nos compatriotes à opter pour les mêmes pratiques de décision et de vie. Or vu de Bavière, où la vie est douce et aisée pour la communauté française sise en observatrice, les positions locales ne sont pas toujours optimales. Composez donc votre appréciation…

Le parangon germanique est en vérité un camaïeu de modèles. Nos rédacteurs invoquent habituellement les données des Etats de l’ancienne Allemagne de l’Ouest, et en particulier de Bavière et de Bade-Wurtemberg où le chômage effleure apparemment le seuil dit structurel de 4,5 %. Ces quantièmes dissimulent les arrangements à temps partiel (presque 40%), en général destinés aux mères qui aspirent à consacrer à leur enfant (notez le singulier) la moitié de leur jour puisque l’école s’achève à 13h et que les légendaires activités sportives et culturelles ont été privatisées à l’heure de la réunification, faute de pécule pour déployer ces mesures.

Remontant aux années 80, l’idée pionnière des Schlüsselkinder (enfants ayant autour de leur cou la clé de chez eux) s’est brisée sur le constat que les gamins ne refluaient pas toujours chez eux, ou dévalisaient sucreries et boissons du frigo domestique.

Il était donc temps de réaffirmer l’autorité parentale (enfin… maternelle) dans un terroir où le système éducatif sélectionne les enfants à 10 ans (à l’issue de notre CM1) pour les orienter qui en école professionnelle, qui en école technique, qui au lycée, cette dernière option avoisinant 15% en Bavière. Les passerelles après le tri sont rares et exigeantes, c’est pourquoi dans les familles qui visent exclusivement les études supérieures, les bougies enfantines entre 7 et 9 ans s’accordent avec pression, cours de soutien et entraînement intensif.

Reconnaissons que pour les recalés de l’examen, l’orientation en dehors du lycée n’est pas irrémédiablement synonyme d’échec puisque les professions manuelles sont bien considérées, à condition cependant d’avoir une charge dans une grande entreprise valorisante. En dehors du système des industries de pointe, vecteurs de qualité et de stabilité, les autres emplois sont cantonnés à des salaires faibles et des conditions précaires. Le système fédéral ayant abandonné le maintien d’un salaire minimal, insoutenable pour les Etats de l’ancienne RDA, nombreux sont les contrats autour de 4 euros de l’heure, voire moins. S’y ajoutent de nombreuses heures payées au noir, pour les petits boulots du quotidien.

Le citoyen français s’interroge alors : en l’absence de prélèvements obligatoires substantiels, comment le gouvernement finance-t-il les infrastructures et les dépenses collectives ? Eh bien, il ne les finance pas. En témoignent l’état des routes, des métros, les chambres collectives à l’hôpital, la situation démographique préoccupante, la participation des familles aux frais de scolarité et bien d’autres marqueurs. Pourtant, les infrastructures ne sont ni sales ni délabrées, car les allemands les respectent et le les endommagent pas : elles représentent un patrimoine dont ils sont redevables. Ne parlons pas cependant de patrimoine collectif, tant l’idée même d’un destin commun est absent de l’idéologie de nos hôtes. Absent et même étranger : tout ce qui vient de l’Etat est mis en doute, discuté, contesté au cours de soirées interminables de débats publics dont les annonces sont affichées dans les rues. Ces derniers mois, plus d’un débat par semaine était organisé sur les droits et devoirs de l’Allemagne en Europe, au regard du sauvetage des finances grecques. Toute initiative impliquant la mise en avant de l’Allemagne sur le plan mondial ou même national est voué à une riposte intestine immédiate et virulente.

En apparence, les meneurs d’opinion proviennent de la plèbe, cependant les décisions authentiques sont prises, comme ailleurs, dans les cercles de bonne compagnie, forums avisés et feutrés où la cylindrée de la Porsche prend valeur de quartier de noblesse.



Alors, pourquoi érige-t-on l’Allemagne en modèle ? Pour la propreté et la quiétude de ses contrées, pour la courtoisie et la patience (pas toujours instinctives) de ses habitants, pour leur penchant à la préférence nationale – le Made in Germany (voire in Bayern pour les Bavarois) - qui auraient en France des relents extrémistes parfaitement tolérés ici, pour la docilité (relative) des travailleurs à qui la parole est donnée mais qui ont constaté, par les remodelages récents de l’économie, la chute vertigineuse de la valeur des opinions.

Le développement individuel est l’intention véritable du modèle germanique : si pour les femmes « les trois K » (Küche, Kinder, Kirche = Cuisine, Enfants, Eglise) sont un peu dépassés, le nouvel acronyme est HAAU pour les deux sexes : Heim, Arbeit, Auto, Urlaub (Maison, Travail, Auto, Vacances).



Vérité en deçà du Rhin, mensonge au-delà ? Disons qu’il est urgent de réfléchir avant de transposer un tel paradigme dans une France qui cultive une vision universaliste et qui chérit la liberté de contester pour préserver, au fond, un projet commun.