jeudi 29 novembre 2012

Au bois dormant


Si la Bavière ne suscite plus l’étonnement de la nouveauté que brossaient ces pages l’année dernière, elle acquiert peu à peu pour nous la saveur de la demeure familière, affermie par une admiration croissante pour les étendues préservées qu’offrent Munich et encore plus les contrées affleurant les montagnes.

Nos yeux ont abordé autrement les bacchanales d’octobre ; nous avons entrevu la fermentation des apprêts et des codes adoptés en coulisses, pénétré la doctrine des tenues bigarrées et des écarts caloriques, distingué l’euphorie et le désenchantement au fil des refrains et des éclats. Aux excès des jours de fête succède une modération dans les contenances, une froideur qui semble impénétrable, trempée de retenue envers les allochtones, si ce n’est d’insensible aversion. Ces derniers mettraient-ils en péril les espaces préservés de l’écosystème bavarois ?

Sur les sentiers pastoraux autant que sur les voies autoroutières s’étalent les perspectives que ne brisent aucun bandeau marchande, aucune publicité criarde, aucun interstice désaffecté ou huileux, les bâtiments sont restaurés avant d’être éraillés, les préaux  dépoussiérés avant d’être souillés. La nature est intacte, aussi est-il aisé de s’y couler en familier. L’essentiel est de garder les yeux ouverts pour ne pas s’étourdir, car au pays des fées, certains assoupissements sont prolongés !   

dimanche 26 août 2012

Vis tes rêves !


A l’accueil, tagués par d’enjoués factotums, vous voilà dirigés vers le village où deux cents douars se mêlent aux canadiennes ; piquets enchevêtrés, lacets confondus, toiles étendues à perte de vue… votre abri fusionne dans la métropole textile. A la nuit se propagent les murmures mitoyens, les bourdonnements s’échangent, les déplacements se dotent d’acrobatiques culbutes sur les sardines collectives. 
 
 


Vos bras sont tôt loués pour autant de sémaphores qui régissent les quatre cents pataches estafettes de Bleus. En neuf heures, sous le soleil et la pluie, arrivent à l’envie plus de quinze milliers d’adolescents, foulards bigarrés, yeux déjà pétillants, corps graciles fléchissant sous d’imposantes sacoches, visages illuminés de sourires impatients.
  

Suivent quatre journées de rencontre, partage, découvertes. Moments inoubliables, intenses, source d’énergie pour continuer la route.

Comment exprimer à vos amis, proches et collègues que pendant vos vacances vous étiez exaltés de cohabiter cinq jours dans les bocages, bivouaquant sous le déluge avec 20.000 personnes dont 19.000 de moins de 25 ans, de se lever avec entrain à 5h chaque matin pour passer sous la douche (8 douches et 4 WC pour 400 personnes…), puis enchaîner les tâches rébarbatives, manger à la cantine avec les 1000 autres adultes qui partagent votre lubie, passer vos soirées assis par terre à auditionner refrains et algarades, sous le vent et la pluie, être successivement agent de sécurité, officier de pompage, creuse-tranchées à la lampe torche (et sous les trombes), planton anti-émeute (une rébellion des bretons revendiquant du beurre salé, suivis par les lyonnais en mal de quenelles), peintre en bâtiment, arbitre de sport, réparateur de tentes, escadron de soutien psychologique, porte-parapluie, borne d’information, porte-flambeau et même bougie d’anniversaire de taille humaine ?
 

Pour (re)vivre Vis tes rêves à Jambville, rendez-vous sur http://www.dailymotion.com/video/xsj0n6_vis-tes-re-ves-le-film_webcam
 

 

mercredi 30 mai 2012

Le joli mois de mai !

Mai s’amorce en Bavière, dans chaque paroisse, par l’élévation des mâts.

Sectionnés dans les forêts d’alpage pendant les semaines précédentes, poncés puis peints aux couleurs de l’Etat Libre, ils sont ensuite patronnés jour et nuit par des grappes de jeunes gens. Le défi consiste à dérober le mât de la paroisse voisine, afin d’empocher l’enjeu qui se monnaye en fûts de bières, cochonnailles ou défilés de jeunes filles en tenues légères (pour les prises remarquables).

Le 1er mai, aux aurores, une armée de culottes de peau sort le mât de sa cachette et le porte à bouts de bras jusqu’au lieu de montage. Les vergues peuvent toiser 60 mètres, l’effort est donc soutenu. Confié à la garde des plus jeunes, le Maibaum (arbre de mai) est abandonné par les manutentionnaires qui vont prendre leur première collation de la journée : saucisses et salades de patates, arrosées de bière servie à la Maβ (prononcez « masse »), cette chope en verre carrelé, titrant un litre et portée par poignées de cinq par de colossales Mädchen. Il est environ 9h du matin.

Pendant que les hommes cassent la croûte, les femmes en tenue tressent la couronne de branches de sapin, dans laquelle seront glissés des rubans multicolores.

 Aux flancs sont fixés les écussons des commerçants du quartier, au pied la cocarde de l’année.


          


Commence alors une sérénade huilée, codée et mystérieuse : les hommes glissent sous le pilier des perches entrelacées, agencées à distance réfléchie en commençant par les abords du sommet et élèvent lentement le mât en ajoutant des perches de plus en plus près du fondement. Un relai s’établit, permettant aux éreintés de rejoindre le buffet. Les fûts de bière sont à moitié asséchés lorsque la verticalité est annoncée par le laborieux le plus sobre.

La parade peut alors commencer !


 


dimanche 22 avril 2012

A voté !

Les quatre bureaux de vote des français de Bavière ont ouvert ce matin à 8h. Nous sommes 46 000 inscrits au consultat. Faites vos calculs...

Lorsque la smala Brossier, vélocipédiquement  acheminée, a atteint l’école française un peu avant 8h10, sous une légère bruine, deux cents hominidés en imperméable temporisaient, dressés sur leurs pattes de derrière, à l’extérieur du bâtiment.

Les fins de liste alphabétiques étant considérablement plus développés que les débuts de liste, madame avait voté à 8h40 tandis que monsieur faisait encore le planton devant les portes.  Une heure plus tard, « a voté » !

 Dire que voter est un devoir civique…

mardi 17 avril 2012

Des transhumances

Les intermèdes plaisanciers permettent aux bavarois d’adoption d’assouvir leur chasse héliantivore, en visée des layons où se produisent le plus fréquemment les rayons du soleil. Avides d’un départ hâtif, voici nos aventuriers ensemencés dans les embâcles munichois, empruntant un Korridor tyrolien aux entours du lac de Constance, puis infiltrant le territoire helvète à la recherche de l’inappréciable vignette qui agrée la circulation sur les artères de la fédération. Avisant un panneau de transit, nos voyageurs s’enrôlent sur une aire assignée aux 38 tonnes ; l’Espace, pourtant spacieuse, y fait office de chaloupe au milieu des super tankers. De vignette point, mais un seuil inédit aux suisses avenues, sans acquittement de l’octroi présagé. 

Qui ne sait les autoroutes helvètes à la sortie des bureaux de Zurich ? Prenez un retour de Normandie un dimanche soir de mai, ou un fameux samedi enneigé au péage de Saint-Arnould, cousins timides du capharnaüm évoqué. Nous optons pour une bretelle bernoise dans un patelin moyenâgeux, attifé d’un pont en bois bardé, de ruelles serpentines, de fraiches fontaines… et d’une auberge turque. Les enfants, ensachés dans la voiture entre les fûts de bière, déambulent et apprécient leur premier diner de vacanciers, prodigué par un serveur contemplatif. L’épopée, via Genève, s’achève au mitan de la nuit au nord de Chambéry où les conducteurs, lessivés, rechargent leurs accus.

Amis chers et parents, nature éveillée et instants de fraîcheur…   

Dix jours girondins suscitent des envies de montagne. Cap sur la yourte du Verdon où, accueillis par Vanessa et la petite Alice, les voyageurs découvrent les délices de l’Extrême-Orient : inoubliables brioches tièdes et madeleines au chocolat ! Randonnées à couper le souffle et nuits chaudes dans nos divans mongols, aux pieds des collines enneigées.

Quatre aubes plus tard, le transhumant cortège longe la côte génoise, coupe la plaine du Pô, vire au nord de Venise et franchit la barrière alpine en Autriche. Le soleil n’a pas suivi à Munich, et pourtant nous rallions notre logis avec contentement. Viel Spaß !


mercredi 22 février 2012

Sur le sacro-saint modèle allemand…

Vos écoutilles sont rabattues de dépêches exaltant le modèle allemand et exhortant nos compatriotes à opter pour les mêmes pratiques de décision et de vie. Or vu de Bavière, où la vie est douce et aisée pour la communauté française sise en observatrice, les positions locales ne sont pas toujours optimales. Composez donc votre appréciation…

Le parangon germanique est en vérité un camaïeu de modèles. Nos rédacteurs invoquent habituellement les données des Etats de l’ancienne Allemagne de l’Ouest, et en particulier de Bavière et de Bade-Wurtemberg où le chômage effleure apparemment le seuil dit structurel de 4,5 %. Ces quantièmes dissimulent les arrangements à temps partiel (presque 40%), en général destinés aux mères qui aspirent à consacrer à leur enfant (notez le singulier) la moitié de leur jour puisque l’école s’achève à 13h et que les légendaires activités sportives et culturelles ont été privatisées à l’heure de la réunification, faute de pécule pour déployer ces mesures.

Remontant aux années 80, l’idée pionnière des Schlüsselkinder (enfants ayant autour de leur cou la clé de chez eux) s’est brisée sur le constat que les gamins ne refluaient pas toujours chez eux, ou dévalisaient sucreries et boissons du frigo domestique.

Il était donc temps de réaffirmer l’autorité parentale (enfin… maternelle) dans un terroir où le système éducatif sélectionne les enfants à 10 ans (à l’issue de notre CM1) pour les orienter qui en école professionnelle, qui en école technique, qui au lycée, cette dernière option avoisinant 15% en Bavière. Les passerelles après le tri sont rares et exigeantes, c’est pourquoi dans les familles qui visent exclusivement les études supérieures, les bougies enfantines entre 7 et 9 ans s’accordent avec pression, cours de soutien et entraînement intensif.

Reconnaissons que pour les recalés de l’examen, l’orientation en dehors du lycée n’est pas irrémédiablement synonyme d’échec puisque les professions manuelles sont bien considérées, à condition cependant d’avoir une charge dans une grande entreprise valorisante. En dehors du système des industries de pointe, vecteurs de qualité et de stabilité, les autres emplois sont cantonnés à des salaires faibles et des conditions précaires. Le système fédéral ayant abandonné le maintien d’un salaire minimal, insoutenable pour les Etats de l’ancienne RDA, nombreux sont les contrats autour de 4 euros de l’heure, voire moins. S’y ajoutent de nombreuses heures payées au noir, pour les petits boulots du quotidien.

Le citoyen français s’interroge alors : en l’absence de prélèvements obligatoires substantiels, comment le gouvernement finance-t-il les infrastructures et les dépenses collectives ? Eh bien, il ne les finance pas. En témoignent l’état des routes, des métros, les chambres collectives à l’hôpital, la situation démographique préoccupante, la participation des familles aux frais de scolarité et bien d’autres marqueurs. Pourtant, les infrastructures ne sont ni sales ni délabrées, car les allemands les respectent et le les endommagent pas : elles représentent un patrimoine dont ils sont redevables. Ne parlons pas cependant de patrimoine collectif, tant l’idée même d’un destin commun est absent de l’idéologie de nos hôtes. Absent et même étranger : tout ce qui vient de l’Etat est mis en doute, discuté, contesté au cours de soirées interminables de débats publics dont les annonces sont affichées dans les rues. Ces derniers mois, plus d’un débat par semaine était organisé sur les droits et devoirs de l’Allemagne en Europe, au regard du sauvetage des finances grecques. Toute initiative impliquant la mise en avant de l’Allemagne sur le plan mondial ou même national est voué à une riposte intestine immédiate et virulente.

En apparence, les meneurs d’opinion proviennent de la plèbe, cependant les décisions authentiques sont prises, comme ailleurs, dans les cercles de bonne compagnie, forums avisés et feutrés où la cylindrée de la Porsche prend valeur de quartier de noblesse.



Alors, pourquoi érige-t-on l’Allemagne en modèle ? Pour la propreté et la quiétude de ses contrées, pour la courtoisie et la patience (pas toujours instinctives) de ses habitants, pour leur penchant à la préférence nationale – le Made in Germany (voire in Bayern pour les Bavarois) - qui auraient en France des relents extrémistes parfaitement tolérés ici, pour la docilité (relative) des travailleurs à qui la parole est donnée mais qui ont constaté, par les remodelages récents de l’économie, la chute vertigineuse de la valeur des opinions.

Le développement individuel est l’intention véritable du modèle germanique : si pour les femmes « les trois K » (Küche, Kinder, Kirche = Cuisine, Enfants, Eglise) sont un peu dépassés, le nouvel acronyme est HAAU pour les deux sexes : Heim, Arbeit, Auto, Urlaub (Maison, Travail, Auto, Vacances).



Vérité en deçà du Rhin, mensonge au-delà ? Disons qu’il est urgent de réfléchir avant de transposer un tel paradigme dans une France qui cultive une vision universaliste et qui chérit la liberté de contester pour préserver, au fond, un projet commun.

dimanche 29 janvier 2012

Flocons et boules de neige

Avec les flocons quotidiens et le mercure calé au négatif, notre aptitude à la conduite sur les lames pétrifiées s’est indurée, jusqu’à concéder des échappées en état troublé.
 
Ainsi la fraîche promenade vers l’hôpital (samedi aux aurores), lorsque j’escortai, sous la bourrasque laiteuse, un Théo aux pointes vigoureuses indisposées. Moins d’un tour d’horloge plus tard, il était admis au bloc opératoire.

L’épisode s’est conclu favorablement, cependant nous aurons à cœur de susurrer aux parents de damoiseaux quelques recommandations pour déjouer de telles alarmes.

 Autres divertissements au crédit de la neige : de nombreux dévers en luge et un igloo familial, des veillées « ski de randonnée et agapes » pour Patrice, un brevet de pelotes de neige pour les autres ; les pelletées du matin, les pelletées du soir ; les graviers, raflés sur les trottoirs par nos chausses démesurées, et les canardières d’eau glacée qui se forment dans le sas d’entrée.  


Viel Spaß







lundi 16 janvier 2012

Et soudain le firmament s’obscurcit.

Depuis notre immersion bavaroise, nous avions invoqué les esprits de l’hiver, ébroué maints gri-gris, valsé sous les conifères les soirs de pleine lune ; en vain. Les flocons parfois dansottaient, bardaient les accotements de quelques pouces argentés, et l’hiver détalait.

Vendredi dernier, à la tombée de la nuit (16h25, donc…), l’horizon soudain s’obscurcit, l’éther s’épaissit et du firmament churent de minuscules pelotes pesantes et affilées. En français le vocable « mi neige mi grêle », à ma connaissance, reste à inventer.

Eparses en préambule, puis fourmillantes, et enfin innombrables, en rafales horizontales, virevoltantes, instables… en une minute, la circulation en pleine ville, pourtant dense, s’est brusquement démêlée : je me retrouvai seule sur la chaussée, ou plus exactement isolée dans le mètre entourant l’héroïque Modus, périphérie suprême du champ visuel disponible à cette heure.

En moins de temps qu’il ne faut pour le transcrire, toutes les berlines alentour avaient viré au blême uniforme, plus de légende routière. Rupture momentanée du fil d’Ariane, rideau (blanc).

Au répertoire sonore, l’union du vacarme des vents et du silence molletonné des floches.

Du fond du sac à main, précieux, transi, mes doigts ont délivré le sésame de nos premières errances en pays d’exil : l’écran du GPS…