vendredi 15 juillet 2011

De l'art de rechercher un logement bavarois

Amateurs de chroniques, compliment !

Comparer la prospection d’un domicile munichois à la quête du Saint-Graal avoisine la pâle parabole, car il s’agit d’un combat de haute lutte, sans merci ni pitié, requérant hardiesse, curiosité et persévérance, mais aussi une disposition à amadouer l’éventuel bailleur en brandissant maints gages d’assise financière et de volonté de bailler durablement, cette dernière illustrée (nous concernant) par l’affichage d’une germanophilie naissante, mais sincère.

C’est ainsi que votre servante a aiguisé sa diction germanique pour justifier l’atterrissage familial à tous les mercenaires immobiliers exposés sur le piètre marché du fermage munichois. L’exégèse de la mutation expéditive, maintes fois soutenue à tous les allocutaires concentrés, s’étant révélée opérante, votre servante s’est permis après de quelques-uns des fioritures de langage et même des pointes d’humour que les originaires du crû ont reçues avec assentiment et chaleur.

Un soir cependant, ces écarts ont dérapé.
(Pour dédouaner nos récents atterris, le verbe bavarois évince en complexité son cousin allemand, et de nombreuses locutions inopinées fleurissent les propos des locuteurs rencontrés).

Un soir donc, Hélène, en servant à une entremetteuse immobilière le récit des dernières semaines, choisit un nouveau vocable pour expliquer la récente affectation de Patrice à Munich. Au lieu du « übertragen » maintes fois usité, elle spécule sur le verbe « überführen », qui pour les germanophiles pointus pourrait clairement évoquer la migration voiturière décrite dans le premier épisode de notre saga. Or cette formule a sur le visage de la commissionnaire l’effet d’une lame, et voilà que surgissent des paroles de compassion, des condoléances (registre cordial).

Laissant négligemment le flot survenir, Hélène insiste pour considérer la cave. Pour les non-initiés, la Keller (cave) en Allemagne ne conserve pas que du vin et le capharnaüm surnuméraire. Véritable adjointe du foyer, la Keller se distribue en plusieurs salles dont l’indispensable buanderie, plusieurs lieux de rangement et couramment une salle de jeux.
L’employée consternée de voir sa mansuétude négligée procède consciencieusement à la visite, sans négliger les éclaircissements associés. Tout en prodiguant des instructions sur l’utilisation des (délétères) fourniments, elle accompagne son propos d’adorables « vous verrez, vous vous habituerez à votre nouvelle étoile, les gens sont bienveillants ici pour les familles en difficulté » (en Bayerisch dans le texte). Hélène lui rétorque poliment qu’elle est confiante dans la capacité d’adaptation de la famille et que la région semble plaisante (une fois les caprices de la météo apprivoisés)...

Tout à coup l’agent sonde avec délicatesse si le pater familias avait été munichois, seule justification réaliste à cet attachement excentrique à la Bavière. Hélène lui réplique que Patrice est français (et qu’il ne parle pas un traitre mot d’allemand !). La face de la dame se détend : « Votre mari est donc toujours vivant ! ». L’évidence de cette affirmation a de quoi assommer : «  Incontestablement ». Et dans un fou-rire, nous remontons à la source : « uberführen » est un mot grammaticalement correct qui signifie bien un transfert dans l’espace, mais ne s’applique pas aux organismes vivants. Seuls les objets, les cadavres et les cendres sont susceptibles d’être « uberführt ». Réjouissant.

Que notre lectorat affligé se rassure, d’autres visites ont porté leurs fruits et c’est donc dans le quartier de Fasangarten que nous vous accueillerons… si des fois vous envisagez d’affronter les éléments jusqu’à la Germanie.

Cette adresse, libérée par des toulousains de retour au soleil (eux…), est la possession d’un insolite et francophile Docteur K. qui loge au bord du lac de Starnberg dans les flots duquel furent découverts le 13 juin 1886 les corps sans vie de Louis II de Bavière et de son praticien particulier. Le paraphe du contrat de location, sis au-dit domicile lacustre, a été l’occasion d’un débat qui des charmes de l’Allemagne du Sud en est arrivé aux résonnances de l’énergie du monde, puis aux préparatifs précautionneux du rendez-vous stellaire du 21 décembre 2012, date à partir de laquelle est attendue (par notre futur tenancier) une inversion des flux obscurs et lumineux émis par les consciences humaines. Le déroulement de notre entretien prenant un tour des plus initiatiques, Patrice et Hélène, espiègles, décochant en outre interrogations et collecte de précisions minutieuses, l’épouse japonaise de notre hôte apporte soudain un plateau de rafraîchissements qui laisse présager que nous serons retenus interminablement dans ce repos montagnard.

Patrice avance alors une méningée aigüe, des palpitations abominables (bref, une affection répugnante à l’heure des bactéries assassines), contre laquelle le rusé Docteur (dont le titre ne provient d’aucune maison médicale) propose un traitement de sa façon.
Et le voilà penché sous son canapé, brandissant deux tigelles en bois clair d’une main, et de l’autre un tubulaire assorti d’un ressort doré. Tenant ferme l’une des barres, remettant la seconde dans le poing de Patrice, le voici qui secoue le ressort à la recherche des influx des forces telluriques, dans l’optique de créer « la base d’une relation entre [lui] et Patrice, afin d’être capable de le soigner par la suite, quelle que soit sa prochaine souffrance ». Après plusieurs tentatives d’impulsions différentes, imprimées aux instruments thérapeutiques par un Docteur prodigue en exposés sibyllins, le remède préconisé consiste en une seconde batterie d’ustensiles, électriques cette fois, exploitant des fréquences singulières et (parait-il) encore inexploitées.
Nous subissons sans rire un premier quart d’heure de ce traitement, puis, alors que se profile à l’horizon « une dose supplémentaire », Hélène prétexte un agenda chargé et nous prenons congé (raisonnablement vite). Inutile de reporter la durée du fou rire qui nous a secoués dès le premier virage.

lundi 11 juillet 2011

Pfannesuppe et autres contes : épisode I

Inconditionnels du London City Direct* d’antan, aficionados de toujours, esprits vaporeux qui aviez espéré être à jamais débarrassés des fléaux littéraires Brossier, amis plus novices qui aviez alors échappé au ressac philosophique hebdomadaire, hibernants exaltés et estivants sur le départ, bonjour !

Oyez les truculences de la vie Munichoise…
Vous aviez quitté cinq Brossier dans un havre de paix tournefeuillais éternellement en travaux, entourés d’une cohorte courtoise composée des meilleurs amis que l’on puisse souhaiter, des enfants épanouis au travers de mille activités dans lesquels leurs parents avaient pris des charges inaliénables… bref vous aviez imaginé des Brossier installés, au mieux stabilisés.

Or ils ont rechuté. Abondamment.
A force de conviction, Patrice a décroché (mi juin pour début juillet) un emploi dans les étoiles, les aéronefs et la défense. Les étoiles et les aéroplanes, nos lecteurs qui le connaissent appréhenderont aisément. Pour la défense, le paradoxe reste entier compte-tenu de ses antécédents. Avec de tels tauliers, voilà Europe cuirassée !

Pour ne rien simplifier, l’employeur spatiophile tient boutique à Ottobrunn, charmant village quasi lacustre dans le sud de la Bavière, suffisamment proche de Munich cependant pour que la maisonnée puisse envisager un refuge citadin.
Nous passerons sur l’enchaînement expéditif des événements ayant conduit à l’atterrissage outre-Rhin. Voilà donc Patrice et Hélène sur les chemins européens en ce merveilleux premier week-end des vacances scolaires.  Que nos lecteurs avides de bouchons autoroutiers se rassurent, les encombrements n’affectent pas les toulousains se rendant en Bavière, puisque la transhumance normale du bipède s’effectue en été du septentrion vers les cieux ensoleillés.

Des nuages gris perle et une fine pluie ont accueilli les voyageurs engourdis par les 1300 kilomètres avalés par l’athlétique et méritoire Modus. Les aimables voisins, détenteurs de la clé de notre appartement temporaire sous-loué à une famille d’expatriés partis pour deux mois sur le littoral atlantique, ont rapidement réchauffé l’atmosphère dans un français hésitant.  Short et jupette échangés contre un bon jean et une laine polaire, ça y est, nous sommes acclimatés !

Et dès le premier soir, nous partons à l’assaut de la restauration bavaroise. Sur la carte, des mets de saison : soupe, ragoût… Hélène se sent l’âme expérimentale et avise la Pfannesuppe. Dans sa mémoire, Pfanne résonne bien comme un élément comestible (animal ou végétal ?). Enfin, une soupe ne peut pas déceler de vice caché rédhibitoire, ni à priori de graine germée porteuse de bactéries médiatiques.

Lorsque la serveuse (russe) dépose le bol de soupe, des lamelles bistres surnagent subtilement à la surface du bouillon. Au goût, poulet ou autre volaille, ou encore un légume ferme et blanchâtre mariné et revenu à la poêle. Mais en cherchant bien, il s’agit d’une soupe aux brisures de crêpes !
Délicieux autant qu’inattendu.

Ami lecteur, si vous voulez maintenant savoir :
-          si le foyer pourra vous accueillir dignement à votre prochain passage à Munich,
-          comment sélectionner son Getränkemarkt,
-          comment s’attirer involontairement la compassion ronflante d’une agence immobilière,
demandez le numéro suivant de votre gazette…

A suivre, mode d’emploi
Voici fraîchement débarqué dans votre boîte aux lettres le début de l’aventure. Si vous souhaitez en être débarrassés, rien de plus simple : ne faites rien. Sinon, je vous inviterai prochainement au Googlegroup « Pfannesuppe et autres contes ». Inscrivez-vous, et c’est parti !
Et si de nouveaux lecteurs - que la rédaction indélicate aurait omis dans sa première proclamation mais que des lecteurs avisés auraient informés de la naissance de cette publication - souhaitent rejoindre le Groupe, merci d’en faire la demande par retour de mail.

Note bibliographique : London City Direct était un bulletin à parution approximativement régulière édité entre les mois de novembre 2002 et mai 2003, à l’occasion du passage remarqué de la famille Brossier dans la capitale britannique. Il paraît que des exemplaires vélin numérotés s’échangent encore sous le manteau. Avis aux collectionneurs.